samedi 4 octobre 2008

Bulles, krach et rebonds ! Episode 2

Il ne se passe pas un jour sans que de nouvelles péripéties agitent la planète finance. Je vous propose donc une suite en plusieurs épisodes au premier billet consacré à la crise financière, avec quelques explications complémentaires nourries de quelques liens glanés ici et là.

Le but est d'être fidèle au projet des Sciences Economiques et Sociales depuis leur création en 1967 : aider les élèves à comprendre des phénomènes économiques et sociaux comme l'actuelle crise financière à l'aide des raisonnements économiques et sociologiques. Cette ambition est remise en cause aujourd'hui sous la pression d'organisations proches du MEDEF (voir plus d'information ici et là aussi si cela vous intéresse). J'espère montrer par ces billets qu'il est possible d'expliquer des problèmes complexes comme la crise financière actuelle à l'aide de raisonnements rigoureux, de manière accessible au plus grand nombre (et en particulier aux élèves de lycée), dans une position de neutralité qui n'occulte pas les débats entre économistes sur certaines questions.

Si vous n'avez toujours pas compris le mécanisme de la crise ou que vous avez oublié les explications données dans l' "épisode 1", vous avez droit à une session de rattrapage avec cette petite animation conçue par le journal Libération.




Au moins trois mécanismes sont combinés dans la crise actuelle : une création monétaire excessive par les banques qui ont accordé des crédits à tour de bras à des ménages parfois peu solvables (c'est à dire qui avaient peu de chance de rembourser) ; la titrisation de ces créances qui a permis aux banques engagées de s'en débarrasser à d'autres acteurs ; une bulle spéculative dans l'immobilier, qui comme toutes les bulles a fini par se dégonfler.

Je vous propose de revenir sur ces mécanismes dans les billets à venir sur ce blog. Commençons aujourd'hui par la création monétaire par les banques : ça tombe bien, car c'est le chapitre que nous allons commencer en 1ère la semaine prochaine. Donc, pour les premières c'est une sorte de "mise en bouche" qui, j'en suis sûr, vous donnera envie de dévorer le chapitre suivant ; et pour les terminales c'est une petite remise à niveau, je l'espère pas désagréable, et en tous cas absolument nécessaire si vous voulez comprendre quelque chose à la crise.

1 / La monnaie est créée par la banque centrale ... mais aussi et surtout par les banques privées

Pour comprendre ce qui suit, il faut d'abord avoir les idées claires sur ce qu'est la monnaie dans une économie comme la France ou les Etats-Unis.
Contrairement à ce que vous pensez spontanément, la monnaie n'est pas principalement constituée de billets ou de pièces (que les économistes appellent monnaie fiduciaire), mais de sommes déposées sur des comptes bancaires et qui n'existent que parce qu'elles sont écrites au bilan des banques (d'où le nom de monnaie scripturale donné à ces sommes), et qui circule grâce à des moyens de paiements comme le chéquier ou la carte bancaire. C'est tout de même assez pratique de ne pas avoir à se déplacer avec une valise de billets pour acheter une voiture ...


Pour faire simple, il y a donc deux moyens principaux de créer de la monnaie dans l'économie :
- La banque centrale peut décider de "faire marcher la planche à billets" en augmentant la monnaie fiduciaire en circulation ;
- Les banques commerciales (en France, BNP-Paribas, LCL, Crédit Agricole etc.) peuvent accorder des crédits. La monnaie prêtée provient en fait pour une très petite part de celle déposée par les clients de la banque : et dans ce cas là il n'y aurait pas de création monétaire, puisque la monnaie existe déjà. La plus grande partie des crédits accordés par les banques n'ont pas pour contrepartie des sommes déposées par les clients.

Comment est-ce possible ? Très simplement : en accordant un crédit à un client, une banque commerciale va inscrire une somme de monnaie sur le compte que possède ce dernier auprès d'elle ("les crédits font les dépôts") et récupérer une reconnaissance de dette qu'on appelle une créance : elle va donc créer de la monnaie qui sera ensuite dépensée dans l'économie. Quand le client rembourse le crédit, inversement, cette monnaie est détruite.
En permanence, la quantité de monnaie fluctue donc dans l'économie au gré des créations de monnaie (crédits accordés) et des destructions de monnaie (crédits remboursés). Cependant, si les banques accordent trop de crédits et que les remboursements de crédits sont plus faibles, la quantité de monnaie en circulation dans l'économie progresse. C'est ce qui s'est passé aux Etats-Unis au cours des dernières années.

Pour une présentation simple et claire de l'ensemble de ces mécanismes, allez voir cette vidéo proposée par la Banque de France.


2 / Qu'est qu'une création de monnaie "excessive" ?

Les crédits qu'accordent les banques commerciales leur rapportent des intérêts. Elles ont donc toujours intérêt à prêter davantage, mais avec une limite importante : à tout moment les clients qui ont de la monnaie scripturale déposée sur leur compte doivent pouvoir l'utiliser en paiement de leurs dépenses.

Par exemple, imaginons que la Société Générale ait accordé un crédit de 1000 euros à Madame Durand pour acheter un ordinateur et que celle-ci le paie en chèque ou avec sa carte bancaire. Si le compte du magasin est dans une autre banque, la BNP par exemple, il faudrait que la Société Générale procède à un virement de 1000 € de son compte vers le compte bancaire du magasin à la BNP. Mais comme la BNP a également des clients qui règlent leurs achats auprès de fournisseurs qui ont un compte à la Société Générale, les banques ne procèdent à des virements que sur des montants compensant la différence entre ce qu'elles doivent et ce que les autres banques leur doivent. Par exemple, si le même jour Monsieur Dupont a acheté avec le crédit que lui a accordé la BNP une télévision payée 800 € à un magasin qui a son compte à la Société Générale, à la fin de la journée la Société Générale ne devra plus que 200 € à la BNP et procédera au virement. Ce mécanisme s'appelle la compensation.
Donc, à la fin de la journée, une banque peut se retrouver dans une situation où elle doit de la monnaie scripturale à d'autres banques. Si ses réserves sont suffisantes, elle peut procéder à un virement auprès de l'autre banque. Sinon, elle peut emprunter sur un marché appelé marché interbancaire. C'est sur ce marché que les banques se prêtent entre elles des sommes très importantes, les banques ayant le plus accordé de crédits étant évidemment et très logiquement celles qui doivent ensuite le plus emprunter aux autres banques lorsque les personnes qui ont emprunté utilisent l'argent prêté.

Plus une banque prête, plus cela lui rapporte des taux d'intérêts, mais également plus elle doit parfois se "refinancer" sur le marché interbancaire en empruntant à d'autres banques ou à la banque centrale (la BCE dans la zone Euro, la FED aux Etats-Unis) qui joue le rôle de "banque des banques". Celle-ci est le principal intervenant sur ce marché, et le taux d'intérêt auquel elle accorde des prêts aux banques sert de taux d'intérêt de référence. Voir ci dessous les évolutions en "montagnes russes" du taux d'intérêt directeur de la FED (en bleu) par rapport à celui de la BCE (en rouge) :



En quoi la quantité de monnaie créée a-t-elle été excessive aux Etats-Unis ?

D'une part, en fixant son taux directeur à un niveau très bas entre 2001 et 2004, la FED a permis aux banques de se financer à très bon marché (1 % de taux d'intérêt en 2003 !) ce qui les a encouragé à accorder des crédits en très grande quantité aux ménages et aux entreprises pour financer leurs dépenses. C'est cette création de monnaie qui est responsable en partie de l'augmentation des prix de l'immobilier, qui a dégénéré en bulle spéculative (ce que j'expliquerais dans un prochain billet). A partir de 2004, l'augmentation des dépenses a menacé de dégénérer en inflation et la FED a augmenté son taux directeur, ce qui a mis en difficulté les ménages ayant emprunté à taux variable, réduit les achats de biens immobiliers et précipité l'éclatement de la bulle en août 2007. La FED a donc une part de responsabilité dans la crise actuelle, en ayant créé les conditions d'une croissance reposant sur un niveau d'endettement excessif : l'endettement des ménages représente aujourd'hui près de 100 % du PIB des Etats-Unis, contre à peine 50 % en France.
Pour approfondir, voir ci-dessous une vidéo éducative proposée par la BCE pour expliquer la politique monétaire de lutte contre l'inflation :



D'autre part, les banques qui ont trop prêté se retrouvent aujourd'hui devant de gros problèmes de liquidité : de nombreux ménages emprunteurs n'arrivent plus à rembourser ; les banques sont aujourd'hui très réticentes à se prêter entre elles par manque de confiance, chacune ayant des doutes sur la santé financière des autres. Voir cet extrait d'un article du Figaro d'hier :
L'assèchement des liquidités, non seulement capable de faire tomber des banques, mais aussi susceptible d'étouffer les entreprises financières, est entré ces derniers jours dans une phase critique. Les voyants, sur les marchés du crédit à court terme, sont au rouge vif. Les taux auxquels les banques se prêtent les unes aux autres pour trois mois ont monté continûment depuis début septembre et atteignent des sommets. En revanche, les prix de l'argent à 24 heures sont très raisonnables. Traduction : on ne prête plus aujourd'hui son « cash » qu'à échéance du lendemain. Ce qui implique que chaque jour, les directions financières des banques vont chercher l'argent qui leur permettra de « passer la journée » . La Banque centrale européenne a d'ailleurs mis hier à disposition des banques 50 milliards d'euros prêtés sur trois jours, de quoi tenir le week-end en fait.

Voir également ce reportage du journal télévisé de France 3 le 17 septembre 2007, il y a un tout petit peu plus d'un an. Après l'effondrement de la bulle spéculative immobilière en août 2007, il montre la situation d'une des premières victimes de cette crise, la banque Northern Rock en Grande-Bretagne : elle a d'abord fait face à une crise d'illiquidité (les autres banques ne voulaient plus lui prêter) qui l'a obligé à faire appel à la Banque d'Angleterre comme "prêteur en dernier ressort" ; mais par la suite, sa situation financière ne s'arrangeant pas, Northern Rock a du être nationalisée en février 2008 pour éviter une faillite. Un scénario qui ressemble beaucoup à ce qui se passe depuis début septembre aux Etats-Unis ...
Cette crise illustre bien les deux limites de la création monétaire : globalement, autrement dit d'un point de vue macroéconomique, elle peut dégénérer en inflation (hausse des prix de l'ensemble des marchandises, mais aussi "bulle spéculative" dans l'immobilier ou à la bourse) ; d'un point de vue microéconomique, trop de création monétaire peut mettre une banque dans l'impossibilité de faire face à son engagement principal, à savoir de permettre à ses clients d'utiliser les sommes de monnaie qu'ils ont déposées sur leurs comptes.


3 / Comment en sortir ? Comment rétablir la confiance ?

La politique menée par la FED a favorisé une croissance qui repose sur l'endettement, et donc favorisé les prises de risques des banques qui ont conduit à la crise actuelle. La FED a donc failli dans sa mission de régulation. Mais ces erreurs se sont déroulées dans un contexte de déréglementation des marchés financiers et bancaires qui a limité ses capacités de contrôle. C'est cette déréglementation depuis les années 1970 qui a permis le développement des deux autres phénomènes sur lesquels je vous propose de revenir dans de prochains billets : la titrisation et les bulles spéculatives.

Ces évènements montrent également l'importance de la confiance (en particulier entre les banques d'une part, entre les banquiers et leurs clients d'autre part) pour la stabilité du système monétaire et financier. Et celle-ci fonctionne de manière profondément asymétrique : elle est longue à s'établir, alors que le moindre évènement peut l'anéantir et propager la défiance à toute l'économie. On doit à John Maynard Keynes la mise en évidence de l'importance de ce facteur dans l'explication de la gravité de la crise des années 1930. Quand la défiance se généralise entre les acteurs du système, elle peut rendre inefficace les remèdes proposés pour sortir de la crise. Un exemple dans cette chronique "Eco" du 14 décembre 2007 sur BFM :


Précision sur la fin du commentaire : une récession, c'est quand la CROISSANCE et non le PIB est au cours de 2 trimestres inférieure à zéro, autrement dit quand le PIB baisse au cours de deux trimestres consécutifs ... ce qui semble être le cas en France (2e et 3e trimestre, 2008 selon l'INSEE).

L'importance des moyens déployés par les pouvoirs publics et les banques centrales aux Etats-Unis (plan Paulson de rachat de 700 milliards de $ de créances douteuses) ou en Europe peut renvoyer deux types de signaux opposés :
- Les pouvoirs publics et les banques centrales prennent des décisions à la hauteur de la crise, ce qui est de nature à rétablir la confiance ;
- Compte tenu de l'ampleur des mesures annoncées, la crise doit être encore plus grave que ce qui pouvait être anticipé, ce qui peut nourrir encore plus la défiance.

En clair : ces interventions sont nécessaires, mais rien n'est gagné ! Je laisse le dernier mot à Chappatte (Le Temps, Genève, 20 septembre 2008), qui voit dans ces évènements le retour de "super-contribuable", mais vous aurez compris que ses "supers-pouvoirs" sont limités !


Pour aller plus loin, une liste de liens collectés par Dan Israel d'Arrêt sur images, "contenu reconnu d'utilité publique" par les @sinautes. Bravo à Dan et merci d'avoir signalé également ces billets dans une autre série de liens, qui ne sont malheureusement accessibles qu'aux abonnés d'@SI. Vous savez ce qu'il vous reste à faire : abonnez-vous !