vendredi 9 janvier 2009

Supprimer le juge d'instruction ?

Au cours de la dernière séance d'ECJS avec le groupe 1 en TES, nous avons discuté des annonces faites le jour même par le Président de la République qui souhaite supprimer le rôle actuel du juge d'instruction dans la procédure pénale.
Comme promis, voilà quelques éléments complémentaires pour éclairer votre jugement dans ce qui s'annonce être un des débats politiques important en 2009.

Pour ceux qui ne seraient pas au clair sur le fonctionnement de la justice pénale en France, les rôles respectifs des juges du parquet et des juges du siège (dont fait partie le juge d'instruction), voir le billet précédent posté ici.

Le ministère de la justice propose sur son site des animations très éclairantes sur le fonctionnement de la justice et les métiers de la justice (à consulter également si vous commencez à songer à vous orienter vers le droit l'an prochain ...). Il y a une page consacrée au juge d'instruction ici, avec une interview assez éclairante d'une femme juge d'instruction.

Rappelons quelques points importants :
- C'est le procureur de la République (le "parquet", dépendant directement du Ministère de la Justice) qui décide de l'ouverture de poursuites dans une affaire judiciaire au nom de l'Etat ou sur demande de personnes portant plainte et se constituant "parties civiles". L'affaire n'est instruite par un juge d'instruction que dans le cas de crimes et de délits graves et complexes, soit environ 5 % des affaires pénales, mais ces affaires sont parfois très "sensibles" : soit parce qu'elles peuvent avoir un écho important dans l'opinion du fait de leur couverture médiatique ; soit parce qu'elles peuvent concerner des personnes haut placées ou des intérêts puissants (entreprises, partis politiques, etc.). Dans les 95 % d'affaires pénales restantes (contraventions, délits peu graves ou peu complexes), c'est le parquet qui dirige les enquêtes de police.
- Puisque le juge d'instruction est en charge d'affaires où les pressions politiques, économiques ou médiatiques peuvent être importantes, c'est aujourd'hui un magistrat indépendant et inamovible qui fait partie des magistrats du "siège". Il doit "instruire" le dossier, c'est à dire effectuer tous les actes qui peuvent aider à la "manifestation de la vérité", à charge comme à décharge. Son travail est contrôlé par la chambre de l'instruction dépendant de la cour d'appel.
- Il peut procéder à la mise en examen des personnes ou demander à ce qu'elles soient placées sous le statut de témoin assisté. Il peut demander à ce que les personnes mises en examen soient placées en détention préventive mais c'est le juge des libertés et de la détention qui en décide depuis 2001. Une fois qu'il estime son travail terminé, il peut "mettre en cause" la ou les personnes mises en examen et les renvoyer devant un tribunal, ou prononcer une ordonnance de "non lieu" si les charges sont insuffisantes.

Le juge d'instruction est donc un élément clé de la procédure inquisitoire qui existe en matière pénale en France depuis Napoléon 1er, et même sous la Monarchie (les juges d'instruction sont les lointains héritiers des lieutenants criminels du Roi ...). Au contraire, dans le système anglo-saxon, la procédure pénale est une procédure accusatoire où le juge joue un simple rôle d'arbitre entre l'accusation menée par le parquet (les procureurs, qui sont des magistrats élus aux Etats-Unis, et indépendants du pouvoir politique) et la défense. Dans ce système accusatoire, l'essentiel se joue lors du procès, de manière contradictoire, dans les débats opposant le procureur qui enquête "à charge" et les avocats de la défense qui vont rechercher les failles dans l'argumentation du procureur.
Ce sont ces procès que mettent en scène les séries américaines traitant du monde de la justice, notamment Boston Justice (visionnable sur 13e Rue. Avis personnel : Excellent !!!) ou NCIS (mentionnée par Jonathan en cours, mais je n'ai jamais regardé car je n'ai pas de TV ...). Attention : ces procès n'ont pas grand chose à voir avec les procès tels qu'ils se déroulent en France ... mais ils pourraient bien ressembler aux procès futurs en France si le juge d'instruction disparaissait et que nous passions à une procédure accusatoire.

Voir également, en vous procurant le DVD, l'excellent documentaire de Jean-Xavier de Lestrade, Un coupable idéal, qui a obtenu l'Oscar du meilleur documentaire en 2001. Il montre le travail d'un avocat de la défense qui cherche à disculper un adolescent noir accusé du meutre d'une femme blanche sur le simple témoignage du mari de celle-ci et sur la foi d'aveux extorqués par la Police peu après l'arrestation. Vous pouvez voir le début ici :


La suppression du juge d'instruction, sans autres changements du système judiciaire français, semble poser deux questions :
- Celle de l'indépendance de la justice, car les enquêtes seraient dorénavant menées par le Parquet. Or les procureurs sont nommés et dépendent directement du Ministère de la Justice.
- Celle de l'égalité des citoyens devant la justice, car le rôle de l'avocat de la défense serait désormais de défendre son client en se donnant les moyens de contredire l'enquête menée "à charge" par le procureur (expertises, recherches, témoignages etc.) ce qui peut avoir un coût exhorbitant.

Pour un aperçu des débats concernant cette annonce, vous pouvez écouter pendant une semaine l'émission "C dans l'air" du jeudi 8 janvier 2009 ici.

Je vous propose également deux interviews pour aller plus loin, de manière "contradictoire" (pour rester dans les termes juriques ...) :
- "A décharge", Mireille Delmas-Marty, professeur de Droit au Collège de France et à l'origine d'un rapport demandant la suppression du juge d'instruction en 1990 (oui, ça date !) expose les conditions qui permettraient de garantir l'indépendance de la justice.
- "A charge", André Vallini, député PS et ancien président de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau (2005), rappelle les conclusions de ces travaux, son attachement à une procédure inquisitoire qui peut être améliorée, et que les recommandations de cette commission où siégaient des parlementaires de droite comme de gauche ont été à l'origine d'une loi votée en mars 2007 réformant la procédure pénale ... mais qui est aujourd'hui remise en cause alors qu'elle n'est même pas encore appliquée !

Que pensez-vous de cette réforme ? Les commentaires sont bienvenus, ainsi que les demandes d'éclaircissements évidemment.

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