Un petit billet pour prolonger ici une discussion que nous avons eu en cours avec les Terminales sur des personnes qui sont présentées comme des "experts" par certains média (nous parlions d'Alain Minc en particulier ...) mais qui utilisent parfois des raisonnements très très contestables ...
Dans un billet récent sur son excellent blog de décryptage de l'actualité économique (que je vous recommande chaudement), le journaliste économique Jean-François Couvrat épingle Jacques Attali, ancien conseiller de François Mitterrand qui écrit et parle aujourd'hui sur à peu près tout, et Michel Pébereau, ancien PDG de BNP-Paribas et actuel président de son Conseil d'Administration, président de l'Institut de l'Entreprise (un organisme financé par de grandes entreprises pour contribuer aux débats publics sur les questions économiques) et à ce titre un des principaux critiques de l'enseignement des SES au lycée, accusées de manque de rigueur scientifique et de dérives idéologiques.
Michel Pébereau déclarait ainsi le 5 octobre 2003 dans Le Monde :
Chaque année, nos paiements courants apportent un excédent de l’ordre de 2 % de notre PIB pour financer l’économie nationale.
De la part de Michel Pébereau qui est un des principaux censeurs des SES, cette ignorance de l'équilibre ressources-emplois, au programme du premier chapitre du programme de 1ère ES, ne manque pas de piquant. Un petit rappel à partir d'une infographie réalisée par Alternatives Economiques dans un article très clair d'Arnaud Parienty :
Pour vérifier que vous savez poser cet équilibre, voir ce petit exercice interactif sur le site de l'INSEE ; pour une autre explication détaillée, voir la page qu'y consacre mon excellent collègue Jean-Pierre Simonet .
Dans une économie donnée, un excédent des échanges extérieurs (des exportations supérieures aux importations par exemple) se traduit donc par une capacité de financement vis-à-vis du reste du monde résultant d'un excès de l'épargne sur l'investissement. L'excédent extérieur d'un pays comme la France signifie donc que les agents de cette économie peuvent financer avec cet excès d'épargne des investissements dans le reste du monde ... et non que cet excès d'épargne finance des dépenses d'investissement dans l'économie nationale !
Le même Michel Pébereau déclarait le 8 janvier dans le magazine Challenges en faisant référence à Alternatives Economiques, journal qui selon lui s'oppose à l'enseignement de la microéconomie au lycée :
Pour moi, ce journal conteste le théorème de Pythagore.» [...] «La microéconomie est une science dont les lois valent partout, en tous temps. La macroéconomie, en revanche, permet toutes les interprétations idéologiques.
Or, à ma connaissance, l'équilibre ressources-emplois est peut-être le seul mécanisme économique valable partout, en tous temps et lieux, de manière axiomatique (comme certains théorèmes mathématiques) car c'est une pure relation d'équivalence : les produits sont utilisés ou stockés ... Un excédent extérieur correspond donc à un excès d'épargne sur l'investissement et donc à une capacité de financement de la nation vis à vis du reste du monde.
Et c'est bien un raisonnement macroéconomique qui, pour le coup, peut revendiquer un statut comparable au théorème de Pythagore. Les "lois" de l'offre et de la demande ou la détermination de l'équilibre du producteur (la quantité qu'il va produire en fonction du prix du marché) et du consommateur (la quantité qu'il va consommer en fonction du prix du marché) ne peuvent pas revendiquer une telle validité universelle car chacun de ces mécanismes dépend de paramètres qui prennent des valeurs très différentes ici et là.
En bref, la macroéconomie n'est pas plus ou pas moins scientifique que la microéconomie. Et ce qui n'est pas scientifique et relève de l'idéologie, c'est d'affirmer que seule la microéconomie est scientifique ... ce qui suppose de ne pas s'emmêler les pieds dans certains mécanismes essentiels que propose l'approche macroéconomique !
Une petite pierre dans le jardin de notre censeur préféré ...